Where all that's wrong is right ◄David

Elle se battait contre du vent. Pire, le vent, on peut toujours le dévier. Mais non. Les songes des autres, c’était impossible. Autant de flèches hasardeuses qui finissaient toutes par pointer sur une même cible, qui en ce moment semblait plus dans le coma qu’assoupie.

June avait beau ne pas être forcément très grande, elle n'avait jamais été maigre. Et même si depuis qu'elle était ici, elle avait été incapable de se nourrir correctement -en fait, elle n'avait jamais mis les pieds dans le réfectoire en même temps que les autres, et envoyait balader le personnel quand on tentait de la forcer à ingurgiter quelque chose- et était totalement affaiblie par la fatigue et le stress, elle n'en restait pas moins... Dense. Manière involontaire de faire payer à David. Encore plus réceptive dans son sommeil, elle perçut des fragments, consciente. Enfin… D’à peu près le quart du tiers de la situation. Le Don du jeune homme semblait fluctuer, elle sentit ses pieds racler le sol, un courant d'air qui la fit frissonner, l'appui d'un dossier contre son dos. Enfin, la jeune fille n’en savait rien. Pour la première fois depuis longtemps, elle était perdue dans ses propres rêves. Bon, d’accord, aussi ceux des autres. Ils la hantaient, fantomatiques, alors qu’elle tentait vainement d’y échapper. Prostrée sur son fauteuil, elle était terrorisée, des spasmes parcouraient sa colonne vertébrale, ses doigts s’enfonçaient dans le dossier. Tout ça, c’était sa faute. Mais bien sûr, ma grande, c’est tellement plus facile de rejeter le tout sur le dos du blond. L’aversion envers lui montait, en même temps que la peur. Les deux forment un cocktail relativement explosif. Depuis ce qu’elle pensait être un simple cauchemar, comme les autres avant celui-ci, elle se mit à hurler. En allemand.

Vollidiot !

Et de continuer sur une tirade enflammée, dont passait un mot sur deux, mais donnait une assez bonne idée de ses sentiments à l’égard de David. Une des pensées de celui-ci atteignit June du fin fond de ses songes, et, animée d’une rage meurtrière qu’elle n’aurait jamais eue hors de ce contexte, elle se mit en tête de lui faire payer. Elle se leva.

Du blöde Kuh, dachtest dass du mit mir mit deinen Gabe spielen kannst? Arschlor!

Plantée face à lui, elle l’affubla de noms d’oiseaux tous plus exotiques les uns que les autres, passant de l’allemand basique au dialecte berlinois qu’elle entendait sa mère parler, avalant un mot ou l’autre parce qu’elle n’était pas vraiment « là », avant de se rasseoir profondément dans son fauteuil, lui jetant un regard noir.

Le pire ? C’est qu’elle pensait toujours dormir, cette conne.

Spoiler:

Elle resta assise, à l'observer en chien de faïence, lui lançant de temps à autre des éclairs du regard. Peut-être qu'un jour elle comprendrait que c'était plus facile de balancer ce genre de regard avec des yeux noirs. Un jour. Peut-être. Ou pas du tout.

Pas plus qu'on ne les endort contre leur volonté.

Elle croisa la jambe droite par-dessus la gauche, buste tenu droit comme à son habitude. Elle lui en voulait. Un regard appuyé, à nouveau, à l'illusion qui avait pris les traits de David. N'empêche, insulter un type, même en rêve, lui avait étonnamment fait beaucoup de bien. C'était presque un sentiment de libération, quelque chose qui aurait demandé à sortir depuis longtemps de sa bouche parfois trop politiquement correcte.

Elle sentit un immense poids sur ses épaules. C'est qu'il ressemblait fichtrement au vrai, dont elle venait de faire connaissance. Même expression molle, voire même un manque d'expression... Même quand il s'énervait, ça manquait de conviction. C'est possible de reproduire aussi bien la réalité ? June avait un doute, qui s'infiltrait peu à peu. Elle finit par laisser aller son dos contre le dossier. Un voile passa devant ses yeux, elle balaya sa frange trop longue du dos de la main. Ferma un oeil. Le rouvrit. Même manège avec l'autre. Il restait stable. Comment on fait pour discerner rêve de la réalité ? Elle tira sur la mèche violette avec laquelle elle jouait. Les racines se tendirent, lui arrachant une moue. D'accord. Elle avait vraiment insulté David. En fait c'était tant mieux.

Un Petit Quelque Chose avait retenu son attention. Un Petit Quelque Chose qui lui avait fait tendre l'oreille. Arrêtant de jouer à la mitraillette du regard, sa voix était à nouveau posée lorsqu'elle lui demanda, dans un souffle, comme par peur de trouer le calme.

Dis-moi, tu étais dans une école proposant l'allemand ?

Elle n'était presque plus habituée à sa langue maternelle. Le fait qu'il l'ai comprise la dérangeait presque, maintenant qu'elle y pensait et avait une partie des idées en place.

Beaucoup de choses semblaient normales à Heaven. À vrai dire, elle se faisait des a priori sur très peu de sujets. N'ayant jamais trop vécu en société, elle avait une vision du monde... Hm, juger c'est mal, d'accord ? Mais un instituteur avec un cutter, ça la gênait quand même un peu. Ça n'avait pas l'air très... Commun. Elle l'écoutait, attentive. Fatiguée de se tenir droite, et histoire de mieux tendre l'oreille, elle remit à nouveau son menton sur ses paumes, ses jambes soutenant ses coudes. Voilà, c'était mieux ainsi. On aurait dit une petite fille attendant une histoire. Les yeux de David se perdirent une fraction de seconde dans le vague, et elle se demanda pourquoi. Il n'allait pas se rendormir, hein ? C'était peut-être l'évocation de son passé. Elle préféra ne pas lui poser la question.

Pas vraiment, lâcha-t-elle d'abord. On n'a jamais eu de cours d'allemand à l'école...

À n'importe lequel des niveaux scolaires, par manque de chance, ils n'étaient jamais tombés sur un établissement proposant cette langue. D'autres choix, plus 'internationaux', la remplaçait. June trouvait cela dommage, mais elle avait tout le loisir de le parler par ailleurs.

J'ai beau être Américaine, la branche maternelle de ma famille est Allemande. Mon père l'a rencontrée là-bas, alors on le parlait souvent à la maison.

À son tour d'évoquer des souvenirs douloureux. Douloureux dans la mesure où ils avaient été plutôt heureux. Elle secoua la tête, ses mèches colorées voletant autour d'elle.

Et merci du compliment, même si je n'ai pas vraiment de mérite sur ce point.

Et hop, on rebondit sur autre chose, ni vu ni connu.